L’anti-paradis fiscal


L’imposition, quand elle est abusive, ne manque pas de m’excéder. Vous devinerez donc à quel point j’ai dû faire preuve de patience quand, à l’occasion d’un congrès à Bari il y a quelques temps, un de mes collaborateurs s’est mis en tête de me persuader qu’il fallait imposer encore plus les plus grandes fortunes en France. Son propos m’a, disons-le tout net, semblé dangereux et très réducteur. S’il y a bien un truc que j’ai compris au fil du temps, c’est que les impôts comme les aides sociales concourent de façon perverse à détériorer l’ardeur des travailleurs. Et ce raisonnement vaut, qui plus est, autant pour celui qui est imposé que pour celui qui touche des aides ! Il n’est pas besoin d’être un énarque pour comprendre qu’une exigence trop forte d’égalité détruit la capacité de croissance de la société. Parce que la richesse est une denrée limitée, une trop grande redistribution des richesses mène à moins de richesse. Pour tout dire, rien que le fait de sortir un couteau et d’indiquer qu’on projette de trancher une tarte suffit à faire rétrécir cette dernière ! Pour le dire d’une autre manière, celui qui favorise l’imposition systématique concourt à faire fuir celui qui le nourrit. En effet, les individus les plus productifs, quand il sont systématiquement taxés, sont de fait dissuadés de participer à la richesse totale. Les citoyens les moins productifs, quant à eux, sont aussi confortés dans l’idée de ne pas participer à cette même richesse, puisqu’ils sont les plus subventionnés. A force d’égalité, donc, on finit par bloquer le système. Et tout semble montrer que dans quelques années, ce problème prendra des proportions encore plus importantes. Le choix est simple : il faut choisir entre davantage de prospérité et moins de désir de redistribution, ou une redistribution à hue et à dia, quitte à ébranler la base de cette richesse. Attention, loin de moi l’idée de prôner l’inégalité : une disparité trop grande n’est en aucun cas souhaitable. On sait bien que dans une société où les inégalités sont trop fortes, le fossé qui séparre les classes privilégiées des plus démunies ne permet jamais de maintenir la cohésion sociale, et conduit à des révolutions. Mais je reste aussi persuadé qu’une recherche abusive d’égalité est elle aussi toxique, car elle porte atteinte à la croissance. Mais comme j’ai pu le constater lors de ce congrès, c’est que ce type de discussions n’est pas facile, tant elle fait ressurgir des postures politiques plus que des arguments rationnels… Davantage d’information sur l’organisation de séminaire à Bari en surfant sur le site internet de l’organisateur.



Sevrer l’Arabie de son pétrole


À l’est de l’Arabie saoudite, le complexe pétrochimique de Sadara jaillit du désert telle une oasis de métal. Un labyrinthe de tuyaux, de réservoirs et de torchères couvre trois fois la superficie de la principauté de Monaco, et contient assez d’acier pour construire deux ponts du Golden Gate. Ce projet, livré en septembre pour un budget de 20 milliards de dollars, est le plus grand complexe pétrochimique au monde. Il est là, comme une déclaration d’intention stridente de Saudi Aramco, le groupe pétrolier étatisé de l’Arabie saoudite. Il symbolise sa volonté de s’adapter à la mutation du marché de l’énergie, et ce à quoi l’économie saoudienne ressemblera peut-être, après les réformes. Les investissements dans la pétrochimie placent le groupe Aramco sur la nouvelle voie ambitieuse voulue par le prince héritier Mohammed ben Salman, pour sevrer le royaume de sa “dangereuse addiction au pétrole”. Au cœur des réformes prévues figure la vente d’une partie de Saudi Aramco à des actionnaires étrangers. Les gains seront investis dans les secteurs non pétroliers : technologie, tourisme, santé, ressources minières. Le jeune héritier du trône voit loin, au-delà des énergies fossiles, pour la croissance future du pays. Mais la valorisation espérée de la future ouverture du groupe nationalisé aux actionnaires privés, soit environ 2 000 milliards de dollars, ne se matérialisera que si Saudi Aramco peut prouver que ses vastes gisements de pétrole méritent toujours qu’on y investisse. Alors qu’au même moment, le prince tente de s’éloigner de cette matière première. “Parfois, il y a quelques contradictions entre Aramco, qui fait des heures supplémentaires pour prolonger l’ère du pétrole, parce qu’ils savent que l’Arabie saoudite ne peut pas totalement mettre fin à cette dépendance, et les plus hautes autorités saoudiennes, qui n’arrêtent pas de prédire un futur propulsé par la technologie” remarque Helima Croft, directrice de la stratégie de RBC Capital Markets. “Comment Aramco va-t-il s’insérer dans cette nouvelle Arabie saoudite ?” Le complexe pétrochimique de Sadara utilise pétrole et gaz pour produire les différents produits chimiques que l’on retrouve dans tout, depuis les cosmétiques jusqu’aux pièces de voiture. Il est présenté par le groupe comme le lieu où ces messages contradictoires peuvent être réconciliés. Sadara, une joint-venture créée avec l’américain Dow Chemical, symbolise la volonté des Saoudiens d’attirer des capitaux privés et étrangers et de développer des secteurs à haute valeur ajoutée, comme la filière pétrochimique, qui peut élargir et non remplacer les ressources naturelles du royaume. “Au lieu de considérer le brut comme l’unique moteur économique, le gouvernement examine différents leviers, et c’est une bonne chose” dit Amin Nasser, directeur exécutif de Saudi Aramco, lors d’un entretien avec le FT au siège du groupe à Dhahran, sur la côte orientale de l’Arabie saoudite. “Les investissements dans la pétrochimie placent le groupe Aramco sur la nouvelle voie pour sevrer le royaume de sa “dangereuse addiction au pétrole”” Sa description de Saudi Aramco en allié – et non en obstacle – de la diversification économique saoudienne est très importante pour éviter de donner l’impression que l’introduction en bourse est une vente à la sauvette lancée par un gouvernement désespérément à la recherche d’un moyen de réduire son exposition au pétrole. Le Prince Mohammed place l’intelligence artificielle, l’automatisation et les énergies renouvelables comme priorités de cette Arabie saoudite 2.0. De son côté, le ministre des Finances Mohammed al-Jadaan a déclaré en mai dernier que d’ici à 2030, le royaume “s’en ficherait si le cours du pétrole tombait à zéro”. C’est un objectif un peu irréaliste. À l’heure actuelle, le pétrole représente toujours 87 % des revenus de l’État et reste le socle du pouvoir géopolitique du pays. L’Arabie saoudite ne peut pas se permettre une rupture rapide avec le pétrole, même si elle le voulait. Le royaume doit optimiser la valeur de ses vastes réserves de pétrole pour financer la transition. L’introduction en bourse de Saudi Aramco est un élément essentiel de cette stratégie, pas uniquement pour les milliards de dollars que Riyad en retirera, mais également comme catalyseur d’une privatisation générale de l’économie. Riyad va bientôt décider de quelle place boursière sera lancée la plus importante introduction en bourse de l’Histoire. Londres, New York, Hong Kong et Tokyo ont toutes été pressenties, avec en parallèle la bourse locale saoudienne, Tadawul. Une vente privée à un investisseur stratégique est une autre éventualité.